DCF : l’art et la manière de tenter d’estimer le WACC

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Retrouvez la deuxième partie de notre dossier consacré à la valorisation par les Discounted Cash Flow (DCF). Cet article fera une revue de détails du taux d’actualisation (WACC) !

Introduction

La dernière newsletter a traité le point concernant la projection des flux de trésorerie pour la valorisation Discounted Cash Flow (DCF). Rappelez-vous le principe de base : selon la méthode DCF, la valeur d’entreprise est la somme actualisée des flux de trésorerie libres générés par cette dernière actualisée au coût moyen pondéré du capital (« CMPC » ou « WACC » pour Weighted Average Cost of Capital).

L’actualisation, pour rappel, est le calcul financier permettant de déterminer la valeur présente d’un flux financier futur. Ainsi, par exemple, un agent économique avec un taux d’actualisation implicite de 10% sera indifférent entre 10€ immédiatement ou 11€ dans 1 an. Mais comment estime-t-on concrètement ce fameux taux d’actualisation ?

 

Le WACC et le CPAM : ce que l’on apprend (ou pas) à l’école

Faisons un petit résumé des deux principales notions enseignées en école de commerce et d’ingénieur en spécialité finance :

  • la notion de coût moyen pondéré du capital (abrégé en CMPC ou plus souvent WACC pour Weighted Average Cost of Capital)
  • la notion de Modèle d’Equilibre des Actifs Financiers (abrégé en MEDAF ou plus souvent CAPM pour Capital Asset Pricing Model) pour le coût des capitaux propres.


D’après la théorie financière orthodoxe, le WACC est le taux d’actualisation à utiliser dans la méthode DCF et représente le coût moyen de financement de l’entreprise au vu de ses risques (opérationnels et financiers).

La formule est la suivante :

Formule WACC

avec E la valeur des capitaux propres, D la valeur des dettes, ke le coût des capitaux propres (basé sur les calculs du CAPM comme abordé ensuite), kd le coût de la dette et Tax le taux d’imposition effectif de l’entreprise.

Voyons déjà les premières difficultés se dessiner, dont une majeure de « circularité« . En effet, le WACC dépend de la valeur financière des capitaux propres, hors, on calcule le WACC dans l’optique précise d’obtenir par DCF une valorisation des capitaux propres à l’arrivée !

La solution de facilité – qui est fondamentalement fausse – est de considérer la valeur des capitaux propres comme la capitalisation boursière, ce qui revient à dire que les marchés financiers sont 100% efficients… De plus, quid des entreprises non cotées? Ce point très complexe (problème de liquidité / « marketabilité ») sera traité dans une newsletter future. La meilleure approche est de traiter la circularité en insérant le modèle DCF dans une boucle WACC/Valeur des capitaux propres.


Voyons maintenant la valorisation des dettes. En règle générale, dans une approche simple, on considère la comptabilisation des dettes au bilan.

Cette approche est correcte si la situation de crédit de l’entreprise est historiquement bonne et stable. Si au moment de contracter ses emprunts l’entreprise avait un rating de crédit de AA (très bonne notation) et qu’en raison de la crise son rating de crédit est tombé à B (notation très médiocre en terme de qualité de signature), clairement la valeur des dettes sera largement inférieure à la comptabilisation historique.

Autre difficulté : la notion d’endettement net. Cette notion est dangereuse car se pose par exemple la question du WACC avec un endettement net négatif. Plusieurs écoles s’affrontent :

  • celle qui consiste à mettre la dette nette dans le WACC même si elle est négative
  • celle qui consiste à mettre la dette à 0 dans le WACC si la dette nette est négative
  • et enfin celle qui considère qu’il faut valoriser l’entreprise sans prendre en compte le cash.

La réponse la plus rigoureuse est clairement la dernière. La valeur d’une entreprise avec cash est égale à la valeur de l’entreprise sans cash ajustée de la valeur du cash (et ici encore la valeur du cash n’est pas forcément celle au bilan. Petit teaser 😉  : la valeur du cash est égale à la valeur de ce que vous en faites…).

Enfin kd est le coût de la dette et là encore il dépend du risque de crédit présent et futur de l’entreprise (donc on ne prend en considération le coût historique que si l’entreprise est stable et sans risque).

 

Attaquons-nous maintenant au CAPM. La philosophie du CAPM est simple : la rentabilité exigée par les actionnaires (i.e. le coût des capitaux propres) est uniquement liée au risque non diversifiable (ou risque de marché).

Les actionnaires demandent donc une prime de risque pour compenser le risque qu’ils ne peuvent pas diversifier dans leur portefeuille. Ainsi plus l’exposition au risque de marché (non diversifiable) d’une entreprise est grande et plus son coût des capitaux propres est élevé car les actionnaires exigent une compensation plus grande vis-à-vis du risque. La fameuse formule du CAPM est la suivante :

Formule CAPM

Avec ke le coût des capitaux propres, rf le taux sans risque,  le Beta des capitaux propres et erp la prime de risque pour le marché action. Nous ne ferons pas la liste des nombreuses hypothèses sous-jacentes à ce modèle (rationalité des investisseurs, utilité quadratique, notion d’agent représentatif, etc…)

Premier écueil et non des moindres : le CAPM n’inclut qu’un seul facteur, c’est-à-dire que la rentabilité exigée des actionnaires ne dépend que de l’exposition au risque de marché et rien d’autre. Il y a toute une industrie en finance qui s’est créée en contradiction avec ce principe : le « Factor Investing« .

Le principe de cette industrie est simple : construire des portefeuilles avec une exposition forte à un facteur (par exemple en étant acheteur sur les entreprises fortes sur ce facteur et en vendant les entreprises faibles sur ce dernier).

Les facteurs les plus courants sont :

  1. le facteur « Taille » (les petites entreprises surperforment les grosses et ont donc une rentabilité exigée plus forte),
  2. le fameux facteur «Value » (les entreprises « peu chères » en terme de valorisation sont censées surperformer les entreprises dites « chères » et ont donc une rentabilité exigée plus forte),
  3. le facteur « Momentum » (les entreprises dont le cours de Bourse a beaucoup monté dans une période récente surperforment les autres et ont donc une rentabilité exigée plus forte),
  4. le facteur « Qualité » (les entreprises qui ont fondamentalement une bonne profitabilité/rentabilité surperforment leurs pairs et donc les actionnaires exigent une rentabilité plus forte)
  5. et toute une myriade d’autres facteurs (les américains parlent de « Factor Zoo »).

Clairement, si le CAPM était empiriquement juste, toute l’industrie « Smart Beta » et « Factor Investing » n’aurait aucune raison d’exister…

Revenons maintenant à un problème non trivial du CAPM : l’estimation des paramètres.

 

Première difficulté : le taux sans risque ? Pour faire simple, il s’agit de la valeur temps de l’argent quand il n’y a aucun risque (notamment aucun risque de marché et aucun risque de crédit). Pour une entreprise française quel taux prend-on sans risque ? Très souvent on entend l’OAT 10 ans (le taux des obligations françaises à 10 ans).

Certes le risque est faible mais le risque des obligations allemandes est inférieur et donc pour la zone Euro, le taux 10 ans des obligations allemandes devrait être un indicateur du taux sans risque. Et pourquoi 10 ans? Pourquoi pas 5 ans ou 30 ans ? 10 ans est devenu un espèce de standard de marché et n’a que peu d’effet si la courbe des taux est peu pentue. L’idéal serait de prendre la courbe complète des taux.

Déjà pour un pays peu risqué comme la France, on voit que la solution n’est pas triviale alors, quid des pays émergents ? Quel est le taux sans risque si on veut valoriser une entreprise du Kenya ou de Colombie ? Ici, prendre le taux des obligations d’Etat n’a aucun sens. Le risque de crédit et l’inflation sont tout sauf négligeables. Il faut donc penser à corriger les taux d’Etat par les spreads de crédit (avec le marché CDS par exemple ou alors avec le spread par rapport aux obligations US) et par l’anticipation d’inflation. On obtient alors un « vrai équivalent taux sans risque ».

La prime de risque du marché action (l’Equity Risk Premium du CAPM) mesure la différence de rentabilité entre le marché action dans son ensemble et le marché « obligataire sans risque ». Les problèmes de son estimation sont multiples et on retrouvera les mêmes pour le Beta.  

Prenons pour exemple le cas d’une entreprise US. Premier problème : la définition des « marchés » et donc des indices de référence. Pour un investisseur américain, quel indice recouvre le marché « Action »  : le SP500, le Nasdaq, le Dow Jones ? Clairement ces indices ne sont pas assez représentatifs de l’intégralité de l’économie américaine. La solution serait-elle de prendre un indice très large comme le Russell 2000 ? L’approche est meilleure mais pas suffisante à notre avis. Car avec la mondialisation financière les investisseurs américains sont aussi exposés à l’Europe, à l’Asie et aux marchés émergents. In fine, le MSCI World est le plus large en terme de diversité d’entreprise et d’exposition géographique.

Le deuxième problème est un problème de fréquence des estimations et de longueur de la période d’estimation. Et on se heurte là à un problème statistique majeur. Plus on échantillonne « court » – par exemple avec les performances journalières – et plus on obtient de la donnée – certes – mais plus il y a du bruit non significatif et donc plus l’estimation est fausse… A contrario, plus on échantillonne « long » – par exemple avec des performances mensuelles ou annuelles – plus on filtre le bruit mais au détriment du nombre de points…

Concernant la période, plus la période est longue et plus le nombre de points est élevé (ce qui est bon pour l’estimation statistique) mais moins il y a alors de chances que la prime de risque soit constante. C’est pourquoi la prime de risque action en 1890 ne peut en aucun cas être la même que celle d’aujourd’hui !

Pour le Beta les difficultés sont exactement les mêmes avec, de surcroît, la complexité de l’effet de levier. Pour rappel la formule du Beta des capitaux propres est la suivante :

Formule du Beta

avec ρ la corrélation entre la performance boursière de l’entreprise et la performance boursière du marché action, σs la volatilité de la performance boursière de l’entreprise et σm la volatilité de la performance boursière du marché action.

Le Beta des capitaux propres dépend ensuite de nombreux ajustements propres à l’entreprise. Le plus courant est l’ajustement à cause de l’endettement financier de l’entreprise pour arriver au fameux Beta de l’actif économique (ou « Unlevered Beta ») :

Unlevered Beta

avec comme principales hypothèses que la dette de l’entreprise reste constante et que le Beta de la dette soit nul (donc aucun risque de crédit). Il y a d’autres ajustements possibles comme par exemple ajuster la présence de beaucoup de cash au bilan ou encore pour ajuster le levier opérationnel (coût fixe vs coût variable).

Une pratique assez répandue est de calculer le Beta des capitaux propres de toutes les entreprises d’une industrie en prenant par exemple les rentabilités hebdomadaires sur 6 mois, de calculer les Beta économiques en ajustant avec la structure du capital de chacune des entreprises et ensuite d’appliquer comme Beta économique de l’entreprise sous évaluation la moyenne du secteur.

 

La philosophie de Retout-EvalXP

Les équipes de Retout-EvalXP maîtrisent parfaitement les calculs du CAPM et surtout ses limites. Nous savons parfaitement expliquer d’où viennent nos données et argumenter nos résultats.

Enfin, partageons une vérité : la meilleure explication du taux d’actualisation vient de la finance comportementale et dans son utilisation pratique du capital investissement.

La formule du taux d’actualisation est subjective et peu très trivialement se réduire à :

taux actualisation

avec ρ la préférence pour le présent (à savoir êtes-vous un investisseur long terme très patient ou très court terme avec une exigence de profit immédiate ?), λ l’aversion au risque (êtes-vous un dirigeant ultraconservateur qui veut prendre le minimum de risque ou bien un investisseur « joueur » prêt à parier pour prendre de gros risques ?) et enfin R la mesure de risque (quel est le risque pour vous : la non stabilité des résultats ? La perte maximale ?).

Les équipes de Retout-Eval XP sont là pour vous aider à définir votre taux d’actualisation en adéquation avec vos projets,  en accord avec toutes les parties prenantes et surtout cohérent avec les contextes d’évaluation !

Retrouvez ici l’ensemble de nos précédentes newsletters et thématiques traitées.

Benjamin FORESTIER

Partner Retout EvalXP

Professeur Affilié Ecole Polytechnique

Patrick LEGLAND

Partner Retout EvalXP

Professeur Affilié Ecole HEC Paris

QUI SOMMES-NOUS

Entièrement dédié à l’Evaluation et la Valorisation d’actifs, RETOUT-EVAL XP est la combinaison d’un groupe d’expertise-comptable, audit et conseil présent à Paris et régions (Île-de-France, Normandie, Centre, Rhône-alpes) de 135 personnes et de spécialistes de tout 1er plan en valorisation d’actifs.

Patrick LEGLAND, Professeur Affilié à HEC Paris, Département Finance, qui enseigne notamment dans le master International of Finance (« MIF »), élu meilleur Master en Finance dans le monde
Il dirige par ailleurs le programme certifiant HEC Paris – Ordre des Experts Comptables, qui forme les Experts Comptables a devenir Directeur Financier de transition. Depuis plus de 25 ans, Patrick est un professionnel de la finance haut de bilan, spécialiste dans l’accompagnement de PME.

Benjamin FORESTIER, Professeur affilié à Ecole Polytechnique Paris, ingénieur spécialiste des secteurs High tech. Depuis plus de 15 ans, Benjamin est un professionnel corporate finance et conseil stratégique qui officie tant pour les Start-up que les grands groupes.

Jean-Paul RETOUT, expert-comptable (DESCF, DEA de gestion Option finance) et titulaire d’un doctorat de gestion de l’université Paris I – Sorbonne. Fondateur du groupe Retout & Associés, il a acquis une forte expertise en Audit et « Transaction Services » pour les PME-PMI et les grands groupes.

Cedric KONOPKA, diplômé SKEMA Business School et université Paris-Dauphine, exerce depuis plus de 18 ans dans le conseil en fusion-acquisition (Banque, Boutique M&A) et le conseil aux PME (Chambre de Commerce et d’industrie de Paris Ile-de-France) dans le cadre de cession & reprise /LBO primaires .

Cette équipe cumule plus de 40 ans d’expérience en finance, banque d’affaires et haute technologie, ainsi que 20 ans d’enseignement en Grandes Ecoles (HEC Paris et Ecole Polytechnique Paris), MBA et programmes de formations executives.

Portée par une exigence d’excellence pour nos clients, cette offre de services dédiée s’adresse aux :

🔹  PME-PMI (jusqu’a l’ETI)

🔹  Start-ups

🔹  VCs et fonds d’investissement

🔹  Family Office – Banques privées/Gestion de fortune – Etudes notariales

Affirmant un positionnement clair, notre spectre de prestations couvre un champ de thématiques précises :

🔹  Evaluation financière

🔹  Valorisation dans le cadre de levée de fonds, augmentation de capital

🔹  Valorisation de marques (et autres actifs immatériels)

🔹  Valorisation des Management Package (BSA, Stocks options…)

🔹  Expertise dans le cadre de donations/transmissions
 (avec méthodes retenues par les services fiscaux)

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